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Lettre de remerciement au Comité Nobel

Dernière mise à jour : 9 août

Cette lettre de remerciement au Comité Nobel fut d'abord publiée, traduite en suédois, dans la Svenska Dagbladet de Stockholm du 19 novembre 1947. C'est le Figaro qui en donna le texte français original sous le titre de « Reconnaissance ». Elle fut ensuite réimprimée dans les appendices de la Correspondance Gide-Martin du Gard éditée par Jean Delay (Gallimard, 1968, t. II, pp. 554-5) et dans le Bulletin des Amis d'André Gide célébrant les 60 ans du Nobel de Gide (volume 35, no 156, 2007).

(d'après Pierre Masson)


Neufchâtel, ... novembre 1947.


Je n’ai jamais recherché les hommages ; et pourtant, dès mon plus jeune âge, j’ai eu grand souci de la gloire. Mes livres, durant longtemps, n’eurent aucun succès et je ne m’en affectais guère, car je ne doutais pas qu’ils méritassent d’être lus... plus tard, me disais-je. Aussi bien, la gloire que je rêvais, c’était celle de Keats, de Baudelaire, de Nietszche, de Kierkegaard, de tant d’autres dont la voix ne fut écoutée que plus ou moins longtemps après leur mort. L’éminente distinction que vient de m’accorder la Suède me fait comprendre que j’avais mal fait mon compte ; c’est aussi que je n’imaginais pas vivre si vieux.


Dans les Archives d'André Gide, un dossier consacré au Prix Nobel. Ici un article de Lucien Maury publié dans Les Nouvelles littéraires : « Une politique du Prix Nobel qui doit tenir compte des ambitions et des compétitions natio­nales, de l'universelle concurrence du talent, du génie, sans négliger les petites nations, dont la voix risque de ne pas se faire entendre... Blâmera-t-on cette politique? On ne saurait nier qu'elle s'inspire d'un principe d'équité et de justice englobant l'univers. »
Dans les Archives d'André Gide, un dossier consacré au Prix Nobel. Ici un article de Lucien Maury publié dans Les Nouvelles littéraires : « Une politique du Prix Nobel qui doit tenir compte des ambitions et des compétitions natio­nales, de l'universelle concurrence du talent, du génie, sans négliger les petites nations, dont la voix risque de ne pas se faire entendre... Blâmera-t-on cette politique? On ne saurait nier qu'elle s'inspire d'un principe d'équité et de justice englobant l'univers. »

J’accepte le Prix Nobel avec émotion, à la manière dont un enfant reçoit une récompense ; son contentement ne serait pas si grand s’il ne pensait pas avoir mérité celle-ci. Est-ce marquer beaucoup d’orgueil ? Je le pense tout simplement ; et que le jury qui me l’accorde, tout comme celui qui naguère me nommait docteur à Oxford, tient compte non seulement et non tant de mon œuvre littéraire que de l’esprit qui l’anime.


Très jeune encore, j’écrivais : « Nous vivons pour représenter. » Si vraiment j’ai représenté quelque chose, je crois que c’est l’esprit de libre examen, d’indépendance et même d’insubordination, de protestation contre ce que le cœur et la raison se refusent à approuver. Je crois fermement que cet esprit d’examen est à l’origine de notre culture. C’est cet esprit que tentent de réduire et de bâillonner aujourd’hui les régimes dits totalitaires, et, comme leurs doctrines se font menaçantes, de droite et de gauche, comme elles recourent sans aucun scrupule à tous les moyens, force brutale et perfidie, pour s’imposer, j’estime que notre culture, que tout ce qui nous tenait à cœur et pourquoi nous vivions, tout ce qui donnait du prix à la vie, que tout cela est en grand risque de disparaître.


Il ne peut plus être question ici de frontières géographiques ou politiques, de races ni de patries. La Suède, au balcon de l’Europe, n’en tient pas compte, et les attributions du Prix Nobel me rassurent ; ce qui importe ici, c’est la protection, la sauvegarde de cet esprit « sel de la terre », qui peut encore sauver le monde ; l’élection des quelques-uns qui ont de leur mieux lutté pour son triomphe et pour qui cette lutte est devenue proprement la raison d’être, lutte plus âpre, plus difficile aujourd’hui que jamais ; plus décisive aussi, je l’espère ; celle du petit nombre contre la masse, de la liberté contre toute forme de dictature, des droits de l’homme et de l’individu contre l’oppression menaçante, les mots d’ordre, les jugements dictés, les opinions imposées ; lutte de la culture contre la barbarie.



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